Ces douches du vélodrome d’où l’on ne ressort jamais intact…

Certains disent qu’elles sont magiques, envoûtantes, mystérieuses. Pour d’autres, elles font surtout partie de la légende de cette plus belle classique d’un jour au monde qu’est Paris-Roubaix. Nombreux sont ceux qui en font un but de pèlerinage, pour s’y croire, pour s’y laver, voire s’y purifier, non sans avoir auparavant tourné une fois et demi sur le vieil anneau en béton, à une centaine de mètres de là.

Si les décennies passent, les douches du vélodrome de Roubaix demeurent, les souvenirs restent au gré des savonnages et d’un grès qui – à défaut de s’user – n’en finit toujours pas de torturer les corps. D’autres s’y perdent aussi pour se retrouver à nu, perclus d’anecdotes, au beau milieu d’un livre, grandeur nature, chargé d’histoires, que l’on feuillette au rythme des vainqueurs…

Elles figurent pour toujours au patrimoine de la course, tant elles se parent chaque année d’un peu plus de lauriers, de mémoires, de mots et de maux. Il y a encore moins de vingt ans, ceux qui avaient plus de vingt ans pouvaient les connaître… Ces douches embrumées du mythe roubaisien étaient le passage obligé des gens de cette longue caravane itinérante, de Compiègne à Roubaix, du patron de la course, aux derniers suiveurs d’un camion balai brinquebalant. Mais depuis l’apparition des autobus d’équipe ultra-modernes, véritables salles de bain climatisées ambulantes, le peloton crasseux évite la nuit et le brouillard de cet endroit, en apparence inamicale.

Si loin, et à la fois si près du tumulte de la foule enfin abreuvée d’un vainqueur tout neuf, les sans-grades, moulus d’un jour, s’y engouffraient pour se délivrer d’une tenace gangue de boue et de poussières, se défaire de leurs douleurs et de leurs regrets, que des larmes de crocodile avaient parfois creusé sur des visages sombres. D’autres, plumes à la main et calepins en bataille, avides d’écriture et d’images, scrutaient l’ambiance, guettaient le geste ou un rictus, pour y ramener un je-ne-sais-quoi de sensationnel, prompt à alimenter la chronique.

Museeuw et ses trois glorieuses…

Elles furent souvent anonymes et mystiques, presque verrouillées à double tour, avant que Jean-Charles Canonne, Daniel Verbrackel et leurs amis du Vélo-club de Roubaix ne saisissent l’idée d’en faire un lieu de culte. Une incontournable cathédrale où le patronyme des vainqueurs serait à jamais associé à un carré de granit brut, à un humble espace de vie simplement habillé d’un presque confortable petit banc de bois et d’un pitoyable porte-manteau…

Entre deux siècles, en 1996, Johan Museeuw avait ainsi inauguré la longue liste des seigneurs de la course, avant que l’y rejoignent de glorieux prédécesseurs. De preux combattants qui, bien avant lui, avaient taillé des sillons de gloire à l’Arbre, à Gruson ou non loin du Civron.

Le Flamand rosse, d’habitude si avare de sourires, roi roubaisien du Centenaire (1996), du Millénaire (2000), puis de la Centième (2002) – des éditions chargées de symboles, se plut longtemps à côtoyer Bernard Hinault (1981), Hennie Kuiper (1983) ou Eddy Merckx (1968, 1970, 1973), avant que Magnus Backstedt (2004), John Degenkolb (2015) ou Johan Vansummeren (2011) ne viennent le rejoindre pour l’éternité.

Peter Sagan, le quatre-vingt-cinquième…

D’illustres proximités où les époques se télescopent aussi. Au fond de la première salle, Fabian Cancellara (2006, 2010, 2013) est à l’opposé du Cannibale, mais voisine avec Pino Cerami (1960) et regarde Louison Bobet (1956) et Emile Daems (1963), dans les yeux. Ces douches sont un monument de vie sportive où Tom Boonen (2005, 2008, 2009, 2012) aimait également se blanchir, aux côtés des Andrea Tafi (1999), Charles Crupelandt (1912, 1914) et Léon Van Daele (1958).

Mais les quatre-vingt-cinq places du lieu (45 dans la première salle, 40 dans la seconde) ont presque toutes trouvé leur lauréat respectif. A proximité des pommeaux de douche, on a déniché l’ultime box pour Peter Sagan (2018), à côté de Niki Terpstra (2014), face à Mathew Hayman (2016), dos à Maurice Garin (1897, 1898) et Rik Van Steenbergen (1948, 1952).

Deux triples champions du monde dans les mêmes parages ont donné des idées aux Roubaisiens. Pour Daniel Verbrackel, pas question de stopper la légende, le cours de l’Histoire. « Nous baptiserons les emplacements à-même les douches », annonce-t-il, nullement persuadé qu’il en verra la fin… Ce qui augmentera le total de quarante-quatre places. Et portera la capacité maximale potentielle à 129 noms. Mais d’ici de jouer à guichets fermés, les douches du vélodrome de Roubaix auront peut-être totalement disparu du rituel d’après-course !

Didier PARSY

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